La guerre d'Espagne a eu lieu de 1936 à 1939, à la suite d'un coup d'état militaire du général Franco, alors que l'Espagne vivait une époque de libération et de progrès sous un gouvernement de Front Populaire. Le général Franco, aidé par les forces armées d'Hitler et de Mussolini, prend le pouvoir au Maroc et tente d'envahir la péninsule mais les forces de gauche s'organisent s'y opposent et la population ouvrière prend les armes. Il s'en suit une série de conflits entre républicains et nationalistes. Certaines régions tombent rapidement : l'ouest de l'Espagne mais l'est et les grandes villes résistent et restent aux mains des républicains : Madrid, Barcelone, Valence, grâce notamment aux milices ouvrières. Le conflit prend une importance internationale quand les nationalistes sont soutenus par l'Allemagne nazie et l'aviation italienne. Les républicains obtiennent de l'aide de leur côté de l'Union soviétique et des brigades internationales qui viennent du monde entier : communistes, marxistes, socialistes et anarchistes. Mais les républicains sont mal organisés et peu armés et les grandes capitales finissent par tomber une par une aux mains des nationalistes. En 1939, après la bataille de l'Ebre, Barcelone et Madrid rendent les armes et Franco prend le pouvoir. Franco sera le dictateur de l'Espagne jusqu'à sa mort en 1976.
Le spectacle est composé de plusieurs tableaux qui évoquent des moments clés de la guerre civile espagnole. Le premier tableau, symbolique, débute par un poème d'Antonio Machado sur l'assassinat de Federico Garcia Lorca, victime d'une exécution sommaire par les nationalistes en 1936 C'est un des premiers faits marquants de cette guerre. Lorca, andalou et poète, représente l'art populaire et le flamenco, qu'il aimait et pour lequel il a écrit. Ce tableau représente donc l'étouffement de l'art populaire par la dictature militaire.
Le deuxième tableau - le tango - évoque l'Espagne urbaine, qui vit dans le conflit et l'écoute à la radio. Malgré les bombes et les mauvaises nouvelles, les espagnols tentent de vivre normalement, de travailler, de s'amuser et de se moquer les uns des autres.
Le troisième tableau, évoque symboliquement la bataille de l'Ebre, actualisée et adaptée, ce sont deux camps qui s'affrontent, l'un est représenté par le flamenco, l'autre par la danse contemporaine. Le flamenco tombe par épuisement. Puis les danseuses redeviennent deux enfants qui trainent dans un grenier, trouvent une carte d'Espagne et jouent au professeur. La Solea, le seul tableau vraiment flamenco, évoque de nouveau la mort de Garcia Lorca Le poète est représenté par le flamenco et le coup de fusil est son exécution. Enfin, l'avant-dernier tableau est une référence au Guernica de Picasso. Le Guernica a été peint en 1937, pour l'exposition universelle de Paris. Guernica est un village du pays basque qui a été bombardé par l'aviation nazie en 1937. C'était un lieu symbolique de la liberté et de la diversité des communautés espagnoles, depuis le 16ème siècle, où les rois de Castille allaient prêter serment de respecter les "fors" - les lois - basques. Les danseuses incarnent quelques personnages du tableau qui sont d'abord en vie, puis couchés sur la toile. Elles effectuent une danse qui évoque la liberté et la diversité, peu à peu des objets insolites apparaissent : c'est un glissement vers la fin du spectacle, une référence à la fin du franquisme et à la Movida madrilène, comme si l'on devait se réveiller d'un mauvais rêve et que l'époque actuelle peu à peu reprenait du terrain. On entend le bombardement du Guernica : c'est la fin du spectacle.
Enfin, sur un morceau actuel de la Niña Pastori, nous saluons le public : la guerre est finie, la vie reprend son cours, et on pense quand même parfois à tous ceux qu'on a aimés et qui ne sont plus là.
Tierra est un spectacle de création chorégraphique qui s'appuie sur le métissage des techniques, principalement flamenco et danse contemporaine (et bientôt hip hop). Le travail que nous avons fait - Léa et moi - est un travail qu'en Espagne on appelle "fusion". C'est-à-dire que nous ne cherchons pas à mettre en avant la dichotomie des styles mais au contraire à montrer leur ressemblance. Le flamenco n'est pas une danse traditionnelle : c'est une danse "vivante", qui peut être aussi contemporaine.
Cette création met aussi l'accent sur la richesse artistique de l'Espagne à cette période : l'écriture et la poésie avec Lorca et Machado, la peinture avec Picasso, la musique et la danse avec le flamenco. C'est le flamenco qui domine mais l'ensemble est assez complet pour transporter le spectateur dans l'Espagne des années 30, sans qu'il y ait de véritable reconstitution. C'est une évocation, un voyage, un rêve !
(Ana Ramo)